LES CHEMINÉES

      À Carnac, le long du sentier douanier opérant le tour de la presqu’île de Saint Colomban, au niveau de la pointe de roches balisée sous le nom de « Les Deux Frères », on peut observer les vestiges d’une ruine connue par les locaux sous le nom de « Les Cheminées ».

Le témoignage de Pierre Josse

      Personnellement, ayant fréquenté les lieux durant ma jeunesse, je n’ai observé qu’une seule cheminée.

      Ma mère, qui avait également fréquenté les lieux dans sa jeunesse, parlait quant à elle des « deux cheminées », ce qui laisse à penser que l’une des cheminées se soit effondrée entre deux générations.

     D’autres, enfin, parlent des « quatre cheminées », hypothèse qui n’est pas à exclure, puisqu’ un plan de 1880 établis à la demande du Ministère de la Marine fait apparaître à cet endroit un bâtiment de type quadrangulaire de huit à dix mètres de côté, qui aurait pu être couvert à quatre pentes, et être équipé de quatre cheminées occupant des quatre coins de la bâtisse.

 Ceci étant quelles étaient l’origine et la fonction de ce bâtiment ?

      A ce sujet beaucoup de choses ont été dites.

      Certains y ont vu le corps de garde d’une batterie défendant l’entrée du port du Pô. Ceci paraît peu crédible pour trois raisons :

      1- Il n’a été retrouvé aucun vestige de bastion de défense d’artillerie autour de ces ruines.

      2- On ne voit pas l’utilité d’une telle batterie, attendu que l’entrée du Pô était défendue par le tir croisé du fort Penthièvre, d’une part, et de la batterie de la pointe de Saint Colomban, d’autre part.

      3- Cette construction ne figure pas au plan cadastral de 1833 et est donc réputée avoir été bâtie postérieurement.

      Quant à l’hypothèse, figurant dans un ouvrage récemment paru, selon laquelle ce bâtiment aurait servi à un forgeron dénommé le Loir pour affûter les outils des carriers travaillant sur la côte, il faut l’abandonner, l’auteur de l’ouvrage faisant manifestement confusion entre le bâtiment qui nous intéresse et le corps de garde la pointe de Saint Colomban (Pointe Keller). Il est d’ailleurs fort probable que le bâtiment qui nous intéresse n’était pas encore construit au moment de l’exploitation des granites côtiers de Carnac (1838).

      Ces hypothèses étant écartées, on peut donner du crédit à une tradition des gens du pays, qui y voient un poste de douane. C’est précisément ce que j’ai entendu dire de la part de ma grand-mère originaire de Carnac et qui a vécu non loin de ce secteur.

      À ce sujet il faut se rappeler que Carnac était une commune productrice de sel.

      La gabelle qui avait été abolie par l’Assemblée Constituante le 1er décembre 1790, fût rétablie en 1806 sous Napoléon Ier, puis supprimée à nouveau sous la Seconde République. Elle fut rétablie par Napoléon III et supprimée définitivement en 1945.

      Or c’est précisément au passage de la Seconde République au Second Empire qu’ont été aménagées les salines de Carnac et qu’ont été construites par leurs aménageurs les casernes de douanes du Bréno, de Beaumer et de Kerdual.

      Le port du Pô étant à cette époque un centre de commerce du sel, on fit édifier au Pô, sur la pointe du Brénéguy, une caserne qui ne figure pas sur le plan cadastral de 1833 puisque construite postérieurement.

      Afin d’assurer la sécurité du trafic du Pô, il a paru nécessaire d’établir un poste de douane sur la rive opposée au port, soit à l’ouest du village de Saint Colomban. On peut imaginer un poste de douane tel qu’on en connaît de nombreux exemplaires, ayant un toit à quatre pentes et deux ou quatre cheminées aux angles.

      Il subsiste à l’entrée du village du Pô, côté mer, une construction de ce type qui était précisément le poste de douane contrôlant le passage à gué reliant les villages du Pô et de Saint Colomban. On peut observer une construction basse dont la cheminée d’angle relativement courte correspond au type de celle figurant sur la photo ci-jointe.

      Avec le transfert du trafic maritime du port du Pô vers celui de la Trinité-sur-Mer, qui s’opère à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, le contrôle du trafic de sel à cet endroit devient moins pressant et le poste de douane établi à l’ouest de Saint Colomban semble être désaffecté.

      Sur le plan établi en 1880 pour le service ostréicole par ordre du Ministère de la Marine, la construction qui nous intéresse figure sous la mention « Pon le Floch », alors que d’autres bâtiments figurent sous la mention « maison », tels que : « maison Kergozien » ou « maison de Thévenard », désignant ainsi un bâtiment en propriété. Il résulte de cette mention que les constructions de Saint Colomban ont dû être bâties sur du terrain privé en vertu d’un bail à construction ou autre convention de ce type. Ainsi après désaffectation du poste de douane, les édifices sont-ils revenus au propriétaire foncier qui les a loués au dénommé le Floch.

     A partir de cette observation nous pourrions déduire que le terme « Pon » signifie « possession » puisque le dénommé Le Floch n’était pas propriétaire du fonds mais seulement locataire, tout au plus propriétaire des édifices.           

      Reste à savoir quelle activité le dénommé le Floch exerçait dans cette bâtisse.

       La carte à laquelle nous nous référons ayant été dressée pour le service ostréicole à une période de plein développement de cette activité, il y a tout lieu de penser que ce bâtiment était utilisé à cette époque comme chantier ostréicole.

      Cette hypothèse semble plausible puisqu’un dénommé Eugène Le Floch, fils d’un autre Eugène Le Floch qui fut notaire à Carnac de 1852 à 1875, exerçait dans les années 1880-1890 la profession d’ostréiculteur, et la famille Le Floch s’était  en outre rendue acquéreur vers les mêmes années du petit poste de douane encore existant à l’entrée du village du Pô.

     Ainsi nous pourrions traduire le sigle « Pon » figurant sur la carte par « ponton » puisque ce terme que nous rencontrons dans certains documents relatifs à l’ostréiculture désigne entre autres « un bâtiment provisoire en bois à usage d’entrepôt ». Ceci nous permettrait d’élucider le mystère d’absence de fondations du bâtiment hormis celles des cheminées, et ainsi pourrait-on imaginer un bâtiment en bois flanqué de cheminées en pierres.